Les organisations perverses
Qu'est-ce qu'une organisation perverse ?
Une organisation perverse se caractérise par son instrumentalisation pour servir des missions différentes de celles qu'elle s'est officiellement fixée. Il s'agit d'un détournement de l'activité de la structure au profit d'intérêts cachés. La notion de détournement est centrale dans la perversion ; les finalités officielles servent à camoufler des objectifs inavouables.
Certaines formes d'organisations perverses sont bien connues du public ; elles se caractérisent par des activités délinquantes ou criminelles qui vont du détournement de fonds à l'abus de biens sociaux, et jusqu'au crime organisé.
Les enjeux des organisations perverses sont les formes de jouissances fournies par l'argent et les avantages, le pouvoir et les privilèges, l'abus sexuel et le sadisme. La jouissance perverse s'appuie en totalité ou en partie sur l'argent, le pouvoir et le sexe ; sa détermination est la domination et la maîtrise des personnes et des situations.
Caractéristiques communes des organisations perverses :
Les organisations perverses se distinguent des organisations saines sur plusieurs points qui apparaissent lors d'un examen attentif :
- Au niveau de la division des tâches ; il est difficile de repérer qui fait quoi. Les règles professionnelles ne sont pas appliquées, les compétences pour les accomplir ne sont pas valorisées. L'organisation triche sur la qualité et la quantité de sa production. Les employés qualifiés sont dévalorisés.
- La distribution des rôles dans l'organisation est instable et ne correspond pas à des critères officiels de qualification. Les cadres sont mécontents de devoir assumer des responsabilités pour lesquelles ils ne disposent pas des moyens adéquats et les employés assurent des fonctions qui ne leur incombent pas et pour lesquels ils ne sont pas qualifiés.
- Le système d'autorité est faussement démocratique, voire révolutionnaire. Il encourage la compétition sauvage entre les employés ; il développe l'agressivité et les conflits interpersonnels ; il vise à maintenir une pression permanente sur les subordonnés au profit d'un chef qui se présente comme tout puissant.
- Le système de communication se caractérise par une communication officielle factice, basée sur l'apparence et déconnectée de la réalité professionnelle de l'organisation. Les employés découvrent les recrutements et les licenciements sans en êtres informés. Certaines communications de la direction présentent un caractère conflictuel, un ennemi est désigné, voire un "Bouc émissaire". Le but est de maintenir une ambiance de guerre pour éliminer tout esprit critique et toute contestation. La chasse aux sorcières est toujours possible, le silence est imposé par la peur. Des rumeurs se développent, elles sont basées sur la crainte de fermeture et de licenciement du personnel.
- Le système de contribution-rétribution se caractérise par le clientélisme et les effets de cour. Une grande diversité des salaires et des statuts coexiste dans une telle organisation. La contribution valorisée est celle qui sert les intérêts personnels des dirigeants et non ceux de l'organisation officielle. Le maintien des personnels dans la précarité (vacations, CDD, emplois jeunes...) et le développement des postes à temps partiel, permet d'organiser un système de racket des employés menacés d'exclusion.
Perversion et perversité
Toute organisation humaine présente un certain degré de conflictualité ; certains conflits sont structurants pour l'organisation, ils vont lui permettre de différencier les rôles ou les fonctions. L'expression des conflits sociaux, scientifiques, techniques ou stratégiques va favoriser une progression des compétences de l'organisation et sont indispensables au développement de son intelligence collective et à sa survie. Au contraire, les conflits relationnels et personnels, l'impossibilité d'exprimer des conflits à un niveau professionnels va développer la perversité des conflits.
La perversité est souvent entendue comme la ruse et l'intelligence au service du mal dont l'efficacité est d'autant plus redoutable qu'elle reste cachée. Elle se caractérise par la difficulté de son dévoilement, comme c'est le cas dans le harcèlement moral décrit par Marie-France Hirigoyen.
La perversion c'est le détournement. Une organisation perverse est à la fois pervertie est pervertissant ; elle est pervertie c'est-à-dire détournée de sa finalité officielle pour servir une cause illicite ; elle est pervertissant car elle entraîne ses membres vers des objectifs illégitimes et quelques fois, délictueux.
Si l'établissement de faits délictueux est relativement aisé pour le juriste, le glissement de l'organisation vers des finalités illégitimes n'est pas toujours aisément perceptible. Il peut, toutefois être repéré par l'analyse sémiotique des discours officiels et l'étude des communications sur différents supports de la structure. L'organisation du travail éthique, dans certaines organisations, a pour but de limiter les effets de telles dérives.
La perversion de l'organisation correspond à la fois à un processus et à une structure.
Le processus de perversion se déroule dans le temps ; il peut être plus ou moins rapide, il correspond à un système socio-technique complexe dans lequel, les personnes, les méthodes et les ressources se trouvent en relation d'interdépendance. Ce qui devrait être hiérarchisé ne l'est plus : ce ne sont pas les hommes et les femmes qui priment sur les méthodes et les ressources ; l'humain est mis sur un pied d'égalité avec les méthodes et les ressources et quelquefois, l'homme est subordonné aux méthodes ou aux ressources. C'est une forme banale de perversion des conditions de travail. L'humain devient un objet à usage unique, il est réifié : on l'exploite et on le jette après utilisation. L'employé se trouve consommé par l'organisation, il n'a pas d'existence propre en dehors de ce qu'on appelle une relation d'objet partiel.
Cette pulsion partielle qui n'investi que le type de relation et non le sujet dans sa globalité, qui fait de la personne un objet, c'est ce qui caractérise l'investissement pervers de la réalité. La structure perverse s'équilibre dans la jouissance de la domination de l'autre en tant qu'objet partiel. L'investigation d'une organisation perverse s'éclaire par le repérage de la jouissance dans l'organisation par la souffrance de ces acteurs. La souffrance des employés et des cadres va être "le fil d'Ariane" qui conduira au "Minotaure", monstre dévorateur de l'organisation. Il n'est pas rare que les acteurs pervers soient nombreux à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation. Ils exercent un pouvoir plus ou moins officiel et en contrôlent le fonctionnement.
Comment identifier les organisations perverses ?
La difficulté d'un tel dignostic est d'abord épistémologique, elle réside dans le cloisonnement des acteurs et de leur rôle, des savoirs et des finalités.
La plus hermétique des organisations ne résisterait pas longtemps l'observation conjuguée d'enquêteurs économiques, administratifs et psychosociaux. Le croisement des différentes données permettrait de relever des dysfonctionnements et de dévoiler les fonctionnements pervers.
Le diagnostic organisationnel s'il était plus précoce permettrait d'éviter la chute inéluctable de l'organisation perverse et donc, la sauvegarde des emplois en remplaçant les acteurs fautifs avant qu'ils ne détruisent la structure apte à témoigner de leurs méfaits.
L'action interdisciplinaire correspond à une volonté politique externe à l'organisation.